Déjà, commençons par dire que même aux US gagner avec moins de voix que son adversaire n’est pas chose commune. Ce n’est arrivé que trois fois dans l’histoire du pays, en 1876, 1888 et 2000, et si cette dernière a fait grand bruit, c’est plus à cause d’une certaine affaire floridienne qu’à cause du fait qu’Al Gore avait reçu plus de voix que George W. Bush au niveau national.
Mais comment est-ce possible ? C’est possible parce que les élections présidentielles américaines ne se font pas au suffrage universel, comme c’est le cas dans de nombreuses autres démocraties, à commencer par la France.
De plus, il ne faut pas oublier que nous avons ici affaire à un pays de type fédéral où, dans bien des domaines, élections présidentielles en premier lieu, le niveau national d’une chose n’est que bien peu important.
Ceci étant dit, je pense qu’il est temps pour une petite explication du déroulement des élections présidentielles américaines dans le but de les faire mieux comprendre au public francophone.
Une fois les primaires terminées (et comme il en fut question jusque dans les gros titres des journaux en France, je pense qu’il n’est pas nécessaire de revenir dessus tout de suite) se déroulent vers la fin de l’été les conventions nationales des deux partis principaux. C’est lors de ces conventions que sont désignés officiellement, par le vote des fameux délégués et super-délégués, les deux candidats principaux à l’élection présidentielle. Ceci fait, la campagne officielle peut commencer jusqu’au jour du vote, le premier mardi du mois de novembre (donc, cette année, ce sera le 4 novembre).
Ce jour-là, les électeurs qui le souhaitent votent (certains votent même avant, par correspondance). On notera que ce jour-là, on ne vote pas uniquement pour le Président mais pour tout un tas d’autres trucs (Députés, Sénateurs, Shérifs, Juges, Maires, etc.), et le soir venu, le dépouillement à lieu.
Mais si dans l’esprit des électeurs (et des étrangers regardant la chose de plus ou moins loin) il est question de voter pour un président (et d’ailleurs c’est bien le nom des candidats qui figure sur le bulletin de vote), la réalité est tout autre. Car en fait, on vote pour un grand électeur.
Qui sont-ils ?
Des hommes et des femmes du parti, et en qui (normalement) le candidat peut avoir confiance (au moins assez confiance pour que celui-ci n’aille pas voter pour l’opposant le moment venu), ils sont choisis de manière différentes d’un État à l’autre et d’une époque à l’autre. Ils dépendent d’un État, et leur nombre par État dépend de la population de cet État et s’élève à la somme du nombre de sénateurs et de représentants (députés) dans cet État.
En pratique, par exemple, l’État de Californie a aujourd’hui 53 députés et 2 sénateurs, il a donc 55 grands électeurs ; la Virginie Occidentale, quant à elle, possède 3 députés et 2 sénateurs, elle dispose donc 5 grands électeurs.
En ce qui concerne Washington DC, vu que la capitale n’a ni députés, ni sénateurs, il y a autant d’électeurs que DC en aurait si c’était un État, à condition qu’il n’y en ait pas plus que pour l’État le moins peuplé du pays. En pratique, si DC était un État, il y aurait 1 député et 2 sénateurs, donc il y aurait 3 grands électeurs, et comme l’état le moins peuple, le Wyoming, dispose lui aussi de 3 grands électeurs, tout va bien.
On notera, que tout comme le nombre de députés par État, le nombre de grands électeurs change tous les 10 ans, en fonction du recensement national.
Revenons-en à notre jour des élections. Les votes sont mis dans les urnes, puis le dépouillement a lieu. Et c’est à ce moment-là que tout se joue. Car les dépouillements sont faits et les votes sont comptabilisés par États et par États seulement.
Pourquoi ?
Parce que la plupart des États pratiquent le Winner takes all, c'est-à-dire que le gagnant de l’État reçoit le nombre total de grands électeurs auquel a droit cet État. Le Nebraska et le Maine ont des approches plus proportionnelles en théorie, mais en pratique, comme ce sont deux petits États (respectivement 5 et 4 grands électeurs) et que deux vont automatiquement et en plus à celui qui a gagné l’État, le cas de grands électeurs de partis différents dans ces États ne s’est à ma connaissance jamais présenté depuis que la pratique a été mise en place.
Donc, pour reprendre le « Winner takes all » signifie que quelle que soit la marge de victoire d’un candidat dans un État donné, il recevra 100 % du nombre de grands électeurs dans cet État.
Ce qui a pour conséquence que le nombre définitif de grands électeurs désignés pour chaque candidat à la fin du décompte des voix de tout le pays n’est pas exactement proportionnel au nombre de voix reçues au niveau national.
Si ce n’est pas très clair, imaginons deux secondes qu’un candidat gagne avec 51% des voix dans tous les États… Dans chaque État, c’est incroyable (et plus qu’improbable en pratique), mais c’est comme ça, il gagne avec 51% des voix. Et bien, il recevra 100% des grands électeurs de chaque État (sauf dans le Maine et le Nebraska, où il devrait en recevoir quelque chose comme 3 électeurs dans le Maine et 4 dans le Nebraska). Donc nous nous retrouverions avec un candidat qui a gagné les élections avec 51% des voix au niveau national, mais qui recevrait les faveurs de tous les grands électeurs, sauf 2.
Et dans la pratique, en 2000, Al Gore a eu 48,4% des voix, alors que G.W. Bush n’en a reçu que 47,9%, mais comme Al Gore n’avait gagné que 20 États (et DC) et que Bush a gagné 30 États, le Président actuel a reçu 271 grands électeurs contre 266 pour Al Gore.
Cet exemple concret montre bien que pour s’assurer de la victoire, il faut non seulement un grand nombre de votes, condition sine qua non comme pour chaque élection démocratique, mais il faut aussi répartir ces votes sur le plus grand nombre d’États possibles pour gagner, non seulement les États importants, mais aussi un certains nombres de petits États qui feront la différence. Ceci dans le but de balancer l’importance du peuple et l’importance des États dans l’Union (comme c’est déjà le cas avec les deux chambres : les Représentants (les députés) représentant le peuple, les Sénateurs représentants les États).
Dans le cas des élections de 2000, on a beaucoup parlé de la Floride, mais en fait si Al Gore avait gagne ne serait-ce qu’un ou deux États du Midwest (à commencer par le sien, le Tennessee, qu’il a perdu), il aurait gagné les élections et le monde serait bien différent aujourd’hui…
Pour terminer, les grands électeurs se réunissent en décembre (j'oublie le jour exact) votent pour leur candidat qui est désigné officiellement, et qui prend le pouvoir fin janvier.
On pourra débattre du bien fondé d’avoir un suffrage universel ou non, une autre fois si vous le souhaitez.
Si vous voulez en savoir plus, et si vous lisez l’anglais, cette page wikipedia est très complète sur le sujet (un peu moins en français).